Jean, Serge et José*

 

Ier janvier 2014

Souvenirs indélébiles

Mes amis, j’entends encore vos rires. Un rire aigu pour Jean, en cascade chez Serge et sarcastique quant à José. Ce sont vos rires tout autant que vos poèmes qui m’habitent et les échos inoubliables d’un Ménilmontant malicieux et débonnaire. C’était en I965-1966.

*Jean Dubacq, Serge Wellens, José Millas-Martin

Jours d’errance – II

La mer ne me délivre pas de la solitude. Ses filets me retiennent sur le sable, la bouche amère. Fait étrange : pas  le moindre pêcheur par ici, pas la moindre voile. Des poissons innocents glissent entre les mailles des reflets. Ce caractère distrait que l’on m’attribue provient d’un excès de concentration. Je n’ai de véritable et profonde attention que pour l’ailleurs.

L’horizon implacable désigne l’infini
c’est avec une sombre joie
que l’on voit s’échafauder entre l’infini et soi
l’érection d’un mur de nuages durs
à notre portée
Si le ciel venait à tomber
un peu de vent creuserait nos têtes
personne ne saurait ce qui s’est passé
on s’endormirait pour l’éternité
la tête enfouie dans les draps du sable
La mer qui joue avec des enfants sur la plage
est autrement plus dangereuse et sournoise
mauvaise bête
elle ne ramène pas toujours les corps de ses noyés
elle règne sur le plus vaste tombeau du monde

Jours d’errance – I

Les corps se fondent dans la glaise du jour. J’ai voyagé et je ne connais plus personne. Je tente d’apprivoiser quelques visages sans rien espérer en retour que le signe d’enfants étonnés avec leurs battements de cils vifs comme des oiseaux. Un après-midi sans aventure. Je lis les nouvelles d’un autre monde. J’envisage un nouveau parcours même si ce pays est trop civilisé pour être praticable. Il y a tout de même ces appels lumineux qui crépitent au fond de la nuit. Je vais à leur rencontre. Je vais voir ailleurs.

Les rires aiguisés des enfants déciment la foule
le manège éreinté tourne comme un astre inhabité
la vie coule avec peine dans les veines de la nuit
on se demande s’il s’agit bien d’une fête
mais la musique a la peau dure
elle résiste encore
sans que l’on sache d’où provient son bégaiement
Quelques danseurs obstinés ne décollent pas du cercle luisant
que l’ennui dessine sous leurs pieds
Les visages insensibles restent figés malgré le tangage des corps
Un couple fait mine de s’enfuir
il manœuvre comme un voilier au milieu d’esquifs impalpables
mais personne n’ose aller trop loin
il semble hasardeux de franchir la frontière des ombres
au-delà de cette limite les rires et les gestes voient fondre leur venin
Les contorsions de la fête s’enlisent dans la vase d’une prairie morte
l’ennui engourdit les muscles et les pensées
Des sacs de plastiques rouge balisent l’absence de décor
les stands poisseux referment leurs coquilles
et des bouteilles vides s’empilent dans des camions sonores
Un homme exaspéré jure de ne plus jamais revenir
ses gestes s’enflamment comme une torche
sa voix s’échappe de justesse à travers les grilles du vent
au risque de s’écorcher
Sous les guirlandes abîmées une femme rit de l’imprudent
Bientôt ne demeureront que quelques entêtés
accrochés en grappe au parapet de l’ivresse
Le corps criblé de confettis insipides
des ivrognes perdent pied sous les lumières avares
J’évite d’arrimer mon regard à la bouée des corps
je rentre sans demander mon reste
le chemin est long et dépourvu d’odeurs
les embruns dorment sous le tissu des ombres
Il fait encore plus sombre
Un chat bondit parmi les pierres chancelantes
une ruelle improbable découvre d’impudiques blessures
ce village marin ne ressemble à rien quand la mer est absente
son nom est encore plus horrible que ses toits métalliques
et son château d’eau

[…]